Nous aimons croire qu’en amour comme en amitie, il n’y a aucun place pour le calcul. Neanmoins, Afin de des sociologues et nos economistes, nous faisons des bambins pour qu’ils s’occupent de nous a des vieux jours, nous avons des amis parce qu’ils peuvent nous etre utiles, ainsi, nous nous mettons en couple pour nous assurer une descendance ou un certain standing. Dans une tres belle reflexion, la sociologue Eva Illouz se exige si, dans la « societe de marche », la tension entre sentiments et interets n’est pas en train d’etre levee.
Anne F. reste une journaliste reconnue qui travaille pour un celebre quotidien.
Lors d’un diner organise via des amis, elle rencontre Claire T., directrice de collection dans une grande maison d’edition. Toutes deux entament une conversation a batons rompus, et evoquent leurs parcours universitaires respectifs, leurs enfants en bas age, leurs lectures favorites et leurs projets de vacances. La conversation debouche dans le livre qu’Anne est en train d’ecrire : une enquete i propos des musulmanes vivant en Europe et leurs vues du feminisme. Ce thi?me pique la curiosite de Claire, qui demande a jeter un coup d’?il au manuscrit. Des semaines prochainement, Anne et Claire se croisent a votre concert de soutien a toutes les victimes de violences conjugales. Elles vont prendre un sirop, et Anne propose a Claire de l’accompagner a un vernissage. Les deux jeunes femmes se lient facilement d’amitie – et six mois plus tard, Anne signe votre contrat dans la maison d’edition de Claire.
Pour bon nombre de lecteurs, ce petit recit sans grand interet evoque simplement la retrouve banale entre 2 jeunes filles d’une (tres) excellente classe moyenne qui se lient d’amitie.
Pour nos sociologues, une telle histoire revele 1 enjeu beaucoup plus profond : l’amitie de ces deux jeunes filles n’y est pas seulement une question d’appreciation mutuelle ; elle repose aussi sur le capital culturel, le statut social et l’interet personnel, motifs de l’action dont la plupart d’entre nous detourne le regard des au cours qu’il s’agit de nos relations intimes. Or pour les sociologues, les sentiments n’entrent nullement en conflit avec l’interet personnel. Mieux : l’interet pourrait i?tre aussi le moteur des relations sociales, la force primaire, invisible et silencieuse, qui fait tourner la machine sociale d’un ronronnement doux, tranquille et a peine audible. Si Anne et Claire s’apprecient tant, c’est sans nul doute quelque peu grace a leurs affinites personnelles – mais ces affinites personnelles ne semblent pas rapidement distinctes des gouts politiques et intellectuels, du reseau social commun et… des interets specialises respectifs de chacune (Anne cherche un delicieux editeur, et Claire est a l’affut de nouvelles tetes ainsi que sujets inedits a ajouter au catalogue). Leur amitie leur a donc permis, pour parler en termes economiques, d’echanger quelque chose.
“Pour nos sociologues, les sentiments n’entrent pas en conflit avec l’interet personnel. Mieux : l’interet pourrait i?tre aussi le moteur des relations sociales, la force primaire, invisible et silencieuse, qui fera tourner la machine”
Malgre toutes leurs differences, les sociologues ont ceci en commun au milieu des economistes que tel eux, ils voient derriere des phenomenes en apparence aussi desinteresses que l’amour, l’amitie ou aussi le gout, de l’interet – personnel, economique ou social. Notre prix Nobel d’economie en 1992, Gary Becker, defendait aussi la these que l’interet motive l’integralite des interactions humaines. D’apres lui, l’ensemble de nos relations, quelles qu’elles soient, repond a une logique de l’interet. Je fais des enfants pour qu’ils s’occupent de moi a mes vieux jours ; je me fais des amis au travail parce qu’ils pourront toujours m’etre indispensables apri?s ; j’epouse cet homme pour ses genes prometteurs et Afin de sa carriere qui m’assurera un delicieux standing de vie, etc. Certes, les sociologues ne parlent gui?re « d’utilite » et d’interet en termes aussi directs et primaires que des economistes, ainsi, ils precisent la plupart un moment que nous sommes mus par des normes, des pensees ou des symboles, mais ils defendent souvent l’idee qu’en amitie comme devant l’autel, l’acteur social est motive avec ses interets. Et pour les sociologues, ces interets paraissent avant tout des interets de classe. L’acteur cherche en somme a faire fructifier le capital monetaire ou culturel, et il construit ses reseaux sociaux d’la meme facon.
On entend deja certains s’insurger contre le cynisme reducteur d’une telle vision. Nous connaissons l’ensemble de quelqu’un qui a pris le plus grand soin d’un parent grabataire – comportement sans espoir de reciprocite. Nous faisons l’ensemble de la difference entre l’ami qui annulera votre rendez-vous parce qu’il fut invite via un collegue « plus utile » que nous, et celui qui honorera le engagement. Nous faisons l’ensemble de ces distinctions de facon routiniere, ainsi, nous raisonnons aussi comme des sociologues ou des economistes quand nous soupconnons l’interet de se cacher derriere la roule du monde. Quand nous traitons quelqu’un de « fayot », de « larbin », ou de « leche-cul », nous faisons la meme chose que des sociologues : nous decelons le calcul derriere des relations personnelles (en aussi moment, d’ailleurs, que nous nions cette meme motivation en nous-meme).